Une seule Europe : un appel à l’action.
L’Europe est puissante mais elle n’agit pas comme telle.
Dans un monde où les règles s’effondrent et où le pouvoir global repose de plus en plus sur la force et la vitesse, l’Europe reste trop lente, trop fragmentée et trop prudente.
Il y a une seule Amérique, il y a une seule Chine. Il est temps d’avoir une seule Europe. Nous devons agir ensemble pour protéger nos citoyens, défendre nos valeurs et dessiner le monde de demain.
La sécurité en premier
Le récent accord sur les tarifs douaniers a montré la faiblesse globale de l’Europe. Ce n’est pas seulement un accord désastreux ; c’est un rappel brutal que sans la puissance géopolitique, la stabilité économique sera toujours compromise. L’Europe ne peut pas se permettre d’être considérée comme un sous-fifre, qui réagit aux pressions au lieu de dessiner les résultats. Elle doit devenir un poids lourd géopolitique.
Investir dans une défense commune est donc essentiel et exigera un changement d’esprit radical. Nous avons besoin d’un Pacte Européen de Défense – à l’initiative des États membres – ancré dans une capacité de planification commune et des forces interopérables. Ce Pacte Européen de Défense doit être une composante de l’OTAN.
Nous devons donner la priorité à nos PME et aux équipements militaires fabriqués en Europe. Nous devons garantir une meilleure articulation entre les innovations civiles et militaires, notamment dans la défense cyber, les capacités spatiales et les technologies émergentes comme les drones et la surveillance par l’IA. Pour cela, nous devons garantir que l’accord sur l’objectif de 5% du PNB pour les dépenses militaires soit tenu, en mobilisant des ressources publiques et privées. Ce Pacte Européen de Défense sera un mécanisme décisif pour transformer les chiffres sur du papier en bouclier collectif.
Nous proposons un cadre commun d’évaluation de la menace. Nous proposons un Fonds souverain européen de Défense pour sécuriser le financement prévisible et de long terme de nos capacités stratégiques. Pour cela, nous avons besoin d’un budget de l’Union européenne plus large. Mettre en commun les dépenses au niveau européen, suivant le principe de subsidiarité, ne signifie pas plus de dépenses en général, mais des dépenses plus efficaces, en évitant les doublons et en réduisant les gaspillages.
Ce qui est en jeu n’est pas uniquement une défense plus puissante, mais notre crédibilité, notre capacité de dissuasion et de résistance, à un moment où la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine continue de susciter de vives inquiétudes.
Notre économie doit correspondre à cette nouvelle ambition géopolitique
L’Europe ne parvient toujours pas à utiliser son économie comme un levier de puissance géopolitique. Un chiffre résume tout : l’épargne totale de l’Europe s’élève à 35 mille milliards d’euros, dont 20% financent l’économie américaine et le déficit public américain – au lieu de financer notre propre économie. Résultat, nous manquons de financement pour l’avenir. C’est une erreur stratégique majeure, parce que cela mine notre capacité d’innovation et de croissance.
Pour créer une économie qui serve les intérêts stratégiques européens, nous proposons un Plan d’Investissement européen de 750 milliards d’euros pour soutenir la productivité, le développement de l’IA et la transition verte. L’Union des marchés de capitaux doit être réalisée avant fin 2027 – en commençant par la France, l’Allemagne et l’Italie – pour donner plus de profondeur aux marchés financiers et débloquer l’investissement privé. De la même manière, nous appelons à la création de nouveaux produits d’épargne communs pour diriger le capital privé vers des secteurs à impact élevé. Les régulations comme Bâle III et Solvency II doivent être allégées pour lever les barrières au financement de l’économie réelle.
Cela veut dire aussi renforcer l’euro pour qu’il devienne un des piliers du commerce mondial. Nous voulons un euro digital. Nous soutenons une augmentation des obligations européennes, qui doit être liée à une réduction des émissions d’obligations nationales par les États membres. C’est la seule manière de rendre le marché financier européen plus attractif pour les investisseurs étrangers. C’est la meilleure manière de financer nos nouvelles priorités dans l’IA et dans la transition climatique. Des mécanismes pourront être mis en place pour éviter que l’augmentation des obligations européennes ne conduise à une augmentation des transferts à l’intérieur de l’Union européenne.
Enfin, l’Europe doit fait face à sa réalité démographique. Notre continent vieillit. Sans des ajustements décisifs dans nos systèmes fiscaux et de protection sociale, nous ne serons plus en mesure de soutenir la croissance, l’équité ou la puissance.
Nous avons besoin de nouveaux accords commerciaux pour nous relancer et nous protéger
L’interdépendance globale a récemment mis en lumière les vulnérabilités stratégiques de l’Europe – des chaînes de valeur aux pratiques de coercition.
Pour mieux défendre nos intérêts, nous plaidons pour la signature de nouveaux accords commerciaux avec l’Afrique, l’Amérique du Sud, l’Inde et l’Aise du Sud Est. Nous plaidons pour que l’Union européenne rejoigne le Partenariat transpacifique Global et progressiste (CPTPP). Nous proposons de renforcer l’instrument anticoercition, pour nous protéger contre les pressions de rivaux économiques, pour réduire nos dépendances à des partenaires instables et pour sécuriser notre approvisionnement en matériaux critiques comme les semi-conducteurs, les terres rares, l’énergie propre.
Nous appelons à la mise en œuvre immédiate d’une stratégie sur les semiconducteurs, qui tire parti de l’écosystème européen, qui renforce notre indépendance et qui appuie une stratégie IA fondée sur l’innovation et la régulation.
La politique de concurrence doit évoluer pour faire émerger de nouveaux champions industriels européens. Donner la priorité à l’industrie européenne dans les marchés publics – en récompensant l’innovation et la durabilité, pas seulement le prix – permettra à nos PME de grandir dans des secteurs stratégiques. Cela devra être fait de manière transparente et juste, pour que cela bénéficie à toute l’Union européenne, pas uniquement aux plus grandes économies.
L’Europe doit se fixer pour mission de préserver un ordre mondial fondé sur des règles. Elle doit donc montrer sa fiabilité et bâtir des partenariats robustes avec le Sud Global – pas seulement par solidarité, mais pour réaliser un investissement stratégique dans un monde multipolaire. La crédibilité de l’Union européenne à défendre les règles à l’étranger dépendra de son unité et de sa détermination. A cette fin l’Europe doit parler d’une seule voix dans les institutions financières globales, en commençant par le FMI où elle pourrait disposer d’un siège unique européen.
Nos valeurs, notre force
Le futur de l’Europe doit être ancré dans les valeurs de dignité, de soutenabilité, de liberté et d’ouverture. Ces valeurs, de plus en plus attaquées, seront décisives pour attirer les talents du monde entier dans les domaines de la science et des technologies.
Pour faire venir en Europe les meilleurs chercheurs et retenir les meilleurs esprits, nous plaidons pour la création de cinq nouvelles universités de classe mondiale. Nous plaidons pour la création d’un « Programme Wittgenstein » - reconnu sur toute l’Union européenne – visant à accroître l’attractivité des laboratoires européens pour les étudiants post doctorat et les chercheurs. Nous voulons bâtir un espace d’éducation véritablement intégré, garantissant la reconnaissance mutuelle de tous les diplômes partout en Europe.
Pour vivre en accord avec ses valeurs, l’Europe doit relever ses défis internes : les inégalités, la fragmentation sociale et la régression démocratique. La défense de la règle de droit doit rester non négociable. La transition verte doit rester juste et ne laisser de côté aucun individu ni aucune région. La diplomatie climatique doit devenir un des piliers de la politique étrangère européenne, en utilisant le Pacte Vert comme un atout stratégique.
Une gouvernance efficace
Le talon d’Achille de l’Europe est la décision. L’ambition ne suffit pas – l’exécution est essentielle.
L’Europe doit basculer de la gestion de la complexité à la facilitation de l’action : le processus de décision doit être plus rapide, plus transparent et plus proche des peuples. Nous avons besoin d’une répartition des rôles plus claire entre le niveau européen et le niveau national. Nous avons besoin de leadership plus fort dans les institutions.
Pour donner à l’Europe de la clarté et de la continuité dans ses décisions, nous proposons de mettre fin aux présidences tournantes et de fusionner les fonctions de Président du Conseil et de Président de la Commission dans une fonction unique.
Le droit de veto doit être supprimé dans certains domaines comme la fiscalité. Lorsque cela est nécessaire, nous devons adopter une Europe à plusieurs vitesses, pour permettre aux États qui le souhaitent d’avancer plus vite dans des coalitions flexibles. Nous appelons à ouvrir une réflexion sur le futur pouvoir exécutif européen, menée par les citoyens et associant les experts, les juristes et la société.
Le prochain chapitre européen commence ici : avec de la responsabilité, de l’ambition et de la détermination.
Cet appel est une invitation : que le rejoigne tous ceux qui croient que l’Europe doit dessiner le futur, et pas se laisser dessiner par lui.
Notre tribune avec Paolo Gentiloni, ancien président du Conseil des ministres italien et ancien commissaire européen, Sigrid Kaag, ancienne vice-Première ministre et ministre des Finances néerlandaise, et Klaus Regling, économiste allemand et ancien directeur général du mécanisme européen de stabilité.