🇦🇷 Devoir de mémoire important à propos de la situation économique et sociale en Argentine.
Comme prévu, les articles ou posts très critiques, voire apocalyptiques, sur la politique de Javier Milei se multiplient depuis quelques semaines en France et ailleurs, avec une mauvaise foi qui n’honore pas leurs auteurs.
Certains évoquent la crise économique « causée » par sa politique austéritaire ou le rendent responsables de l’inflation délirante… en 2023 ! (voir quelques spécimens ci-dessous).
Je pourrais me contenter d’objecter que le nouveau président n’est en place que depuis décembre 2023.
Ou encore de souligner que lui-même avait annoncé avant même sa prise de fonctions que la lutte contre l’inflation et la baisse drastique des dépenses publiques auraient des effets récessifs en 2024.
Pour autant, il est essentiel de rappeler l’état dans lequel le pays se trouvait lors de son arrivée à la Casa Rosada, le palais présidentiel à Buenos Aires.
Car le risque que, le temps passant, de nombreux observateurs deviennent amnésiques, soit par hypocrisie, soit par aveuglement idéologique, est déjà avéré.
Dans le pays occidental le plus antilibéral qu’est la France, il est clair que la politique de Milei était condamnée d’avance par nos « élites intellectuelles » pour qui les références à Hayek sont quasi-sataniques.
Il suffit pourtant de lire la note de conjoncture de notre Direction générale du Trésor, datée de début mai, qui revient sur l’économie argentine en 2023.
Qu’y apprend-on ?
- Que le pays a subi deux années de récession, hors 2020 (COVID), en 2019 et 2023.
- Que l’inflation était de 54% en 2019, 51% en 2021, 95% en 2022 et… de 211% en 2023 !
- Que le pays est en déficit budgétaire structurel (toute ressemblance…).
- Que la dette publique est passée de 89% du PIB en 2019 à… 155% en 2023 !
- Que la dette extérieure est passée de 62% du PIB en 2019 à 114% en 2023 !
- Que le taux de pauvreté a atteint 45% en fin d’année dernière contre 36,5% l’année précédente !
Encore une fois, ces « performances » ont été réalisées sous l’ère du président de gauche Alberto Fernandez qui n’a quitté le pouvoir que le 10 décembre 2023.
Sa politique économique et sociale était pourtant si « traditionnelle », si comparable à celle que beaucoup prônent ici : hausse de impôts sur la classe moyenne et les plus riches, gel des prix, mesures protectionnistes, augmentation du salaire minimum…
Les mots utilisés par le Trésor sont également très intéressants. Quelques extraits :
« L’année 2023 a été marquée par la pire crise économique depuis 2001 » !
Cette crise a été « matérialisée par une récession, une inflation incontrôlée, le déséquilibre des finances publiques, l’attrition des réserves de change et le décrochage du Peso ».
L’année 2023 a été marquée, « côté offre, par la multiplication de contraintes imposées par l’Etat sur le commerce extérieur dans un contexte de pénurie de devises (restrictions commerciales, contrôle des capitaux, etc.), minant la confiance des agents économiques et côté demande, par une inflation galopante obérant la demande domestique ».
« L’inflation, historiquement élevée, a atteint son plus haut niveau depuis la fin de l’épisode d’hyperinflation en 1991, à 211 % en 2023 ».
« Dans un contexte inflationniste, alimenté par le déséquilibre des compte extérieurs qui fait pression sur le Peso, la monétisation du déficit public par la Banque Centrale, et les comportements spéculatifs dues à l’instabilité économique et politique, la hausse des prix s’est accélérée en fin d’année, en raison de la hausse des dépenses publiques dans un contexte électoral, et surtout de deux dévaluations, exacerbant l’inflation importée ».
« La situation sociale se dégrade rapidement : 45 % de la population vivrait sous le seuil de pauvreté fin 2023, contre 36,5 % un an plus tôt ».
« La situation des finances publiques est restée très dégradée en 2023 avec un déficit public qui aurait atteint 5,2 % du PIB (dont 3 pts de PIB de déficit primaire) ».
« Le pays n’a plus accès aux marchés internationaux » pour ses financements externes.
Le pays a été « plusieurs fois au bord du défaut »
Ce terrible bilan, cette crise économique et sociale épouvantable… ne sont en rien « l’œuvre » de Javier Milei, mais celle de son prédécesseur. Certes, la sécheresse a réduit les exportations agricoles si importantes pour le pays. Certes, le Covid a contribué à aggraver les tendances historiques.
Mais c’est bien la fuite en avant des finances publiques, la démagogie socialiste et le clientélisme du pouvoir en place qui expliquent la situation catastrophique du pays et l’élection légitime de Milei (élu par 14.6 millions d’Argentins au deuxième tour, soit 55.65% des votes).
Javier Milei est peut-être un personnage loufoque, voire excentrique par certains aspects. Plusieurs de ses positions ont évolué ou sont contestables (je pense à l’IVG ou au changement climatique).
Mais beaucoup de ses constats sur les plans économique et politique se sont révélés convaincants et justes.
Sa volonté de changer de paradigme après des décennies de dérives dans un pays exceptionnel qui fut autrefois le pays le plus riche du monde est sincère.
La prudence requiert donc de ne pas juger son action trop vite. Et encore une fois, de ne pas oublier dans quel état il a trouvé le pays.<