Lorsque Le Monde écrivait : « Maroc : Bousbir, à Casablanca, la plus grande maison close à ciel ouvert du monde sous le protectorat », il ne s’agissait pas seulement d’histoire. C’était un rappel brutal : le Maroc fut construit aussi comme un produit de consommation sexuelle pour visiteurs européens. Et une partie de ce schéma a survécu.
Bousbir n’était pas seulement un quartier réservé : c’était un dispositif colonial d’exploitation du corps des femmes, pensé par l’administration française, monétisé, et présenté comme attraction touristique. L’image de la femme “marocaine”, “orientale”, sensuelle et disponible a été fabriquée par la colonisation.
Ce qui dérange, c’est que cette image continue d’alimenter un pan du tourisme marocain actuel.
Aujourd’hui encore, des ONG comme ECPAT, des rapports européens et des enquêtes de presse alertent sur un tourisme sexuel impliquant des ressortissants étrangers, notamment européens, dans plusieurs villes marocaines. Ce ne sont pas des rumeurs : des réseaux existent, des mineurs sont ciblés, des migrants vulnérables sont exploités. Les mêmes codes qu’à l’époque de Bousbir persistent : exotisme, domination, pouvoir d’achat asymétrique, “plaisirs orientaux” vendus à des visiteurs en quête de transgression.
Ce n’est pas marginal :
• Des quartiers de Marrakech, Agadir, Tanger ou Casablanca sont identifiés comme hotspots par des associations locales.
• Des affaires impliquant des touristes étrangers font régulièrement surface dans la presse (française, espagnole, britannique, marocaine).
• Les mêmes circuits “non officiels” existent, discrets, informels, mais connus.
Le marketing touristique n’est pas neutre. Hammams sexualisés pour touristes, soirées “orientalistes”, “rencontres” arrangées, exploitation de la misère sociale, mise en scène de l’“orientalité” comme fantasme accessible : la matrice coloniale a changé de forme, mais pas de fonction.
C’est là que l’héritage de Bousbir devient gênant.
Car si le Maroc voulait rompre avec cette humiliation coloniale, il aurait déconstruit cet imaginaire plutôt que de le laisser nourrir un marché parfois sordide.
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